Penser l'homme vient de paraitre aux éditions Garnier
Ouvrage codirigé par Claude Habibet Pierre Manent. Avec le concours de Christophe Litwin
Table des matières
Première partie : Théorie de l’homme
Patrick Hochart
L’ordre de la passion
Blaise Bachofen
Rousseau, une anthropologie du « moi relatif »
Bruno Bernardi
L'homme civil, l'homme naturel : l'heuristique en miroir du second Discours
Christophe Litwin
La théorie de l’homme entendue comme généalogie morale
Deuxième partie : Méthod
Vincent Descombes
« Transporter le moi »
Jean-François Perrin
Modifier la langue pour s’orienter dans la science : théorie de la pitié et lexique de l’identification chez Rousseau
Claude Habib
S’aimer soi-même
Jean-Paul Sermain
La mort de Julie
Troisième partie : Justice et Politique
Pierre Manent
De Montaigne à Rousseau : le législateur impossible
Christopher Kelly
Du caractère naturl du sentiment de l’injustice
Céline Spector
Y a-t-il un gardien des promesses ? L’hétéronomie de la conscience dans l’Emil
Terrence Marshall
L’Emile de Rousseau : Bewegungsgrund de la Philosophie Critique
Philippe Raynaud
L’amour, les femmes
Argument
Rousseau fut le réformateur des temps modernes : il n’échappe à personne qu’il a fondé sur de nouvelles bases la politique et la pédagogie, qu’il a renouvelé le roman et la musique, qu’il a changé pour longtemps la vie intérieure et les manières d’aimer comme s’il avait eu le pouvoir de modifier tout ce qu’il touchait. Avec lui la liberté devient le fondement de l’association humaine au lieu d’en être la menace, et l’amour, le fondement de la famille au lieu d’en être le péril. Avec lui la sincérité cesse d’être une vertu de confessionnal, bonne à l’église, déplacée dans le monde. Le libertinage passe de mode ; la connivence mondaine perd son prestige et la bonne société son attrait. Car il fait éclore, chez son lecteur, des aspirations nouvelles : secouer le joug des conventions, et vivre une vie qui soit vraiment sienne.
Ce désir nouveau ébranle les places assignées et les partages du passé. Mais, dans son cas, la contestation de l’héritage ne peut se confondre avec l’avidité usurpatrice qu’on prête aux nouveaux venus. L’ambition de vivre ne se confond pas avec la soif de la puissance : Saint-Preux n’est pas Rastignac. Au regard de l’ordre ancien, cet espoir, qu’on va bientôt dire romantique, est énigmatique : il ne vise rien de défini, et semble fait pour dérouter les critiques traditionnelles contre les licencieux, les égoïstes ou les parvenus. Car la donnée de départ est un moi entièrement repensé, dégagé des verrous de l’égoïsme et de la vanité. La révolution dans la sensibilité, si évidente du vivant même de Rousseau et qui n’a fait que s’amplifier par la suite, ne se comprend pas sans un changement sous-jacent des coordonnées humaines. Si Rousseau a pu modifier l’homme, c’est qu’il l’avait compris d’une manière sans précédent.